Je suis très attaché au 14ème arrondissement car j’y suis né en 64 aux Enfants Malades bd de Port-Royal, de grands-parents immigrés bretons qui travaillaient à la gare Montparnasse.
Les autres, immigrés italiens, imprimeurs chez Larousse à La Vache Noire de Montrouge.
Mes grands-pères se sont rencontrés en militants communistes à la section 14ème (sans doute).
J’ai donc toute mon enfance grandi entre les cités de briques rouges rue du Général Humbert à la Porte de Vanves et la petite rue Ledru-Rollin de Malakoff. Nous ne manquions jamais avec ma grande soeur de « hanter » les Puces avec un mélange de peur et de fascination pour tous ces gens, ces objets hétéroclites qui interrogeaient nos jeunes esprits. Enfin nous traversions le pont qui surplombe le périphérique un lieu assourdissant que les plus grands appelaient La Zone avec son cortège d’histoires louches, ses bandes, le bidonville, ses batailles miséreuses.
La Zone franchie nous pénétrions à Malakoff village tranquille échappé du bulldozer par des ruelles bordées de jardins en fleurs au son du coq résistant qui défrayait les passions jusqu’à quand quelques procéduriers brandirent un quelconque code urbanistique qui couperait le caquet du gallinacé rebelle.
Ledru-Rollin était une ruelle aux pavés défoncés par l’arrivée d’un tank américain en 44 perdu dans la conquête de la capitale. Le parquage des autos s’y faisait alternativement une quinzaine du côté des numéros pairs l’autre impairs, en son centre le garage de la Gordini qui bien qu’il posséda une Panhard avait hérité de ce sobriquet et trônait aussi la DS bleu ciel intérieur cuir crème de mon tonton Nanou qui sursautait aux bruits nocturnes et suspects tant sa 21 était le centre de toutes les convoitises. Avec la 404 le tonton dormait tranquille mais qu’est ce qu’elle était belle sa DS ! Un vrai héros le tonton qui déboulait avec son destrier tout un symbole, la réussite !
Il l’avait gagné à force d’heures supplémentaires et quelle expédition quand avec mémé Germaine, tata Loleta, fille d’émigré républicain espagnol, nous nous envolions vers Menetou-sur-Loire avec la caravane du tonton.
Les semaines c’était au collège Maurice d’Ocagne avenue Didot. Une bande blanche séparait la cour des garçons de celle des filles. Il était évidemment formellement interdit de franchir cette ligne bien réelle. Mais avec les beaux jours, Papillon le plus rapide d’entre nous, bravait l’interdit pour s’élancer dans une folle course ravageuse en territoire amies sous les cris horrifiés des demoiselles et les sifflets rageurs des pions.
Les jeudis pour Papillon c’était souvent synonyme de colle mais qu’est ce qu’il était beau ce dévoreur d’asphalte qui forçait l’admiration – je le pense aujourd’hui – des maîtres et maîtresses.
Enfin la semaine écoulée arrivait comme une grand-messe laïque l’inévitable tour aux Puces avec mon grand-père qui, élevant des pigeons sur sa fenêtre, squattait un promontoire en forme de cage. Les pigeons allaient et venaient à leur guise il leur offrait le gîte et le couvert contre une partie de leur progéniture.
Ce deal m’horrifiait mais ma sensibilité de petit parisien ne lui coupa jamais l’appétit. Il était donc toujours à la recherche de matériaux, projetant quelque réparation ou extension de son élevage. La seconde langue dans la cité étant le breton.
J’assistais souvent sourd à quelque trafic et soupçonnait mon grand-père d’être à la tête d’un réseau colombophile et gourmet.
Le grillage, les outils à main, la visserie étaient aux Puces son centre de gravité. Moi je rêvais aux combats héroïques que je mènerais inévitablement préparant mon barda dans le fatras du stock militaire. La paix établie, je ne peux passer devant les toiles kaki sans humer l’odeur de grosse toile de chanvre moisie et retourner immédiatement en enfance.
La journée aux Puces s’achevait par la rencontre de mon grand-père avec un plouc morbihannais qui l’entrenait au Marengo, un bistrot où il était plus question de moissons que de politique. Le soir venant il n’était pas rare que nous rencontrions mes soeurs rentrant du fest dez avec la Mela, ma grand-mère. Le dimanche c’était le jour des galettes au sarrasin trempées dans le lait Ribot. Plus tard mon premier studio nous l’avons eu avec ma grande soeur rue du Château vers la rue Raymond Losserand et c’est aux Puces que nous nous sommes fait un plaisir de nous meubler. Les années s’écoulèrent, pas toujours aussi idylliques, mais c’est cette image que j’aime à conserver de la Porte de Vanves, ce marché à part, unique et indémodable parce que mineur dans la fantastique parisienne préservé du neuf authentique en sorte.
Aujourd’hui j’ai deux enfants, j’habite en Normandie à Pont-Audemer.
Je suis sculpteur, je travaille beaucoup à partir d’éléments de récupération en métal. Je recompose avec de magnifiques rebuts des meubles, des sculptures. Évidemment mon activité m’a amené à fréquenter puis participer à nos foires-à-tout de province. Un bon nombre de marchands professionnels m’ont conseillé d’exposer mes meubles aux Puces de Vanves où leur semble-t-il mon travail trouverait un écho, provoquerait des rencontres.
Ce retour à ma source qu’ils ne pouvaient comprendre m’a touché profondément et c’est pour cela que je vous ai contacté pour participer au marché.
Robuste Odin
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